I. Introduction :
Dans le Coran, (Cor. 2,216), on lit : "Il se peut que vous ayiez de l'aversion pour une chose et que cela soit un bien pour vous, ou que vous désiriez une chose, et que cela soit un mal pour vous. Allah sait, et vous ne savez pas."
(Cor. 6,119) : "Il vous a détaillé ce qu’il vous a interdit, à moins que vous ne soyez contraints d’y recourir."
(Cor, 2,185) : "Allah veut pour vous la facilité, Il ne veut pas la difficulté pour vous.."
Contre toute attente, selon le Coran, les notions du bien et du mal sont décrites comme relatives aux avantages et aux inconvénients induits. Parfois, le mal est prépondérant, alors cela est considéré mal, comme pour l'alcool (Cor. 2:219). Selon le Coran, chaque peuple a eu une loi propre (Cor. 5:48). Ainsi, la loi est décrite comme ayant changé en fonction du contexte sociologique et anthropologique. Ainsi, Salomon aurait fait sculpter des statues aux jinns (Cor. 34:13). Et les enfants d'Adam se seraient selon la tradition musulmane mariés entre-eux. Ce qui était un bien à une époque a pu devenir un mal dans un tout autre contexte. En jurisprudence islamique, on parle de مصالحة و المافسدة (avantage et désavantages). Rien n'est interdit ou permis de façon absolue, le porc peut se manger en cas de contrainte ou de faim (Cor. 2:173), le jeune se reporter, il n'y a donc pas de bien et de mal absolus en islam. Hormis le fait d'associer une chose ou un être à dieu. Une chose qui est bonne en un lieu et un temps donné pour une personne peut devenir un mal en un lieu ou un temps différents même pour la même personne. Le Coran laisse ainsi la porte entre-ouverte pour strictement tous les interdits, en prévoyant un changement de conjoncture sociale.
II. Le Bien et le Mal Sont-ils Absolus ?
La conception du Bien et du Mal est si profondément ancrée dans les esprits, que leur remise en question est extrêmement dérangeante. Au point que cela suggère immédiatement l'idée d'une pathologie. Or, si nous nous tentons à démontrer qu'une chose est bien ou mal, nous nous rendons compte que nous n'y parvenons étrangement pas. C'est ainsi, simplement... Sauf que quand nous discutons avec d'autres personnes, nous nous rendons compte que ces valeurs changent d'une personne à l'autre. Au point qu'il n'existe strictement aucune valeur sur laquelle tout le monde semble se rejoindre dans le temps et dans l'espace. Même le meurtre est toléré d'une manière ou d'une autre d'une communauté à une autre (avortement, peine de mort, guerre, euthanasie, crime d'honneur, ...), ou encore le vol (dans certaines tribus archaïques, tout appartient à tout le clan sans qu'il n'y ait de propriété propre, dans le Talmud un Juif peut s'approprier le bien d'un non-Juif, ...), l'adultère (échangisme inuit [1], ...), et ainsi pour absolument toute valeur que nous pensons universelle, nous nous apercevons qu'aucune ne s'impose comme acceptée par tous. Mais alors, d'où vient cette conception morale ou éthique, et a-t-elle une utilité sociale ou anthropologique ?
III. La Fonction des Notions de Bien et de Mal :
Les notions de bien et de mal sont-elles dans ce cas de simples errances intellectuelles sans aucune utilité pratique ? Et comment s'installent-elles ?
Si ces notions éthiques ne sont pas stables ni absolues, elles n'en demeurent pas moins existentielles pour la pérennité des sociétés. Elles ont en effet une fonction très importante dans le maintien de la coésion sociale, des relations intra et inter-communautaires, ou la gestion des conflits d'intérêts... Le côté le plus étonnant de l'émergence de ces notions et de leur évolution, est qu'elles s'instituent presque entièrement de façon subconsciente et insensible. Au point que nous soyions perpétuellement convaincus que chaque valeur en vigueur consiste en un progrès universel immuable et absolu.
L'institution des valeurs morales se fonde ainsi dans un équilibrage des conflits d'intérêts et de gestion de risques, dans le rapport de force d'échanges et d'interactions au sein de toute communauté. Ce qui dérange ou provoque des conflits est progressivement érigé en tabou, tandis que ce qui plait et favorise les rapports en communauté sont recherchés comme étant bons. Cela se produit de façon subconsciente et intuitive, sans que nous ne puissions sérieusement nous y opposer, ni même en ressentir la nécessité, et si cela se produit les réfractaires sont rejetés par la collectivités comme ayant un comportement pathologique. Sauf en cas de confrontation latérale avec des individus d'autres communautés aux valeurs souvent différentes des nôtres.
IV. Evolutions Topologique des Valeurs :
Si les valeurs morales s'instituent selon un rapport d'intérêts individuel ou collectif, dans une lutte et une recherche d'intérêts optimals de façon subconsciente, au point de s'ancrer dans les esprits comme des tabous très puissants, il n'en demeure pas moins que le bouleversement des rapports avantages/inconvénients conduit par le même processus à un changement de valeurs. Ce changement est si lent et graduel, qu'il s'institue souvent sans même que cela ne cause de trouble collectif : on croit s'apercevoir de s'être trompé au paravant et avoir découvert la vérité. Parfois cela est induit de façon relativement accélérée, et est perçu comme un progrès moral inéluctable qui s'institue assez rapidement et qui doit être diffusé. En sorte que l'intérêt individuel ou collectif est toujours plus fort que les tabous. Un exemple intéressant à cela est la légalisation de l'avortement en France. En quelques décennies, les accoucheuses qui provoquaient un avortement qui étaient décapitées à la guillotine sont devenues des instruments de l'état suivant des lois et un code institué dans le parlement.
Après l'invention des moyens de contrôles de naissances, la sexualité pré-maritale a commencé à être de mieux en mieux tolérée, et la phobie de la perte de virginité s'estomper au fil du temps. Cette émancipation sexuelle féminine accompagnée d'un manque d'expérience chez les jeunes femmes de l'usage de ces moyens de contraception et le tabou de leur enseignement chez les plus jeunes conduisant à des avortements dans des conditions insalubres mettent en péril la société, conduisant de nombreuses jeunes personnes à perdre la vie ou devenir stériles. Sous l'élan de Simone Veil, le parlement français fera ainsi finalement passer une loi légalisant l'interruption volontaire de grossesse sous certaines conditions, en sorte de contrôler ces avortements ayant de toute façon lieu, dans des conditions plus salubres. On peut s'attendre que à ce que dans un futur plus ou moins proche, la communauté vieillissante de l'Europe évolue vers une tolérance de moins en moins appuyée de l'avortement. Aucune valeur morale n'étant absolue et immuable, mais dépendant strictement de la conjoncture socio-anthropologique dans le temps et dans l'espace. L'évolution des valeurs de Bien ou de Mal ne suivant pas un progrès linéaire véritable, mais un schéma topologique fluctuant selon les lieux et les époques.
V. Approche Neuropsychique des Notions du Bien et du Mal :
La crainte et l'espoir (الخوف والرجاء) constituent le mécanisme central du psychisme humain. Le circuit de la mémoire est érigé autours d'une relation très serrée entre l'hippocampe et l'amygdale, en sorte que chaque expérience du quotidien est gravée dans la mémoire plus ou moins profondément selon les émotions suscitées lors de son avènement.
Ainsi, nous nous remémorons plus aisément les moments les plus agréables et les moments les plus douloureux que les moments communs ne suscitant pas de forte émotion. Par exemple, ceux qui ont vécu les événements du 11 septembre et les attentats contre les tours jumelles et le Pentagone se souviendront plus aisément de détails de ce jour, alors qu'ils peineront à se souvenir de jours plus proches, sans incidence comparable sur le cours de leur vie. Ce processus garantissant en fait un traitement plus spontané et plus rapide face aux événements du quotidien. Puisqu'autrement chaque nouvelle expérience nécessiterait un traitement depuis zéro, et conduirait à une mauvaise économie d'energie et la répétition des mêmes erreurs indéfiniment.
La mise en place des notions du bien et du mal se configure très précisément dans ce processus neuropsychique, en sorte que sans même le savoir, nous pondérons et paramétrons notre estimation de ces valeurs abstraites sur base de cette accumulation d'expériences personnelles et collectives. Si les valeurs inculquées par l'éducation et la pression sociale ne correspondent plus avec notre parcour personnel, nous sommes impulsivement conduits à systématiquement interpréter ceux-ci en sorte de les y adapter. Or, la véritable source de cette évaluation est subconsciente pragmatique et purement égoïste, voire hédoniste, souvent impossible à expliquer et cette manipulation impulsive parait si évidente et nécessaire que nous ne nous rendons pas compte qu'il se fonde sur un réflexe reptilien très profond qui est presque entièrement hors de notre capacité de contrôle. Ce qui explique que les comportements asociaux marginaux sont conçus comme tout-à-fait normaux par les personnes réfractaires ne s'alignant pas dans le code commun collectif. Nécessitant un apprentissage en profondeur malheureusement souvent voué à l'échec dans les cas les plus rares.
VI. L'Origine de Ces Notions :
Techniquement, le sentiment ou plutôt l'intuition des notions du bien et du mal vient de notre instinct de survie. Nous cherchons impulsivement à survivre, nous préserver et transmettre nos gènes. Ce qui implique la reproduction, la recherche de moyens de subsistance, et selon notre tempérament nous chercherons une place appropriée pour cette fin dans notre communauté. En dernière instance, l'empathie réside dans notre crainte égoïste de nous exposer à un danger si nous rompons certains tabous vitaux, par effet de boomerang.
Ces pulsions étant elles-mêmes inhérentes à notre existence, la finalité de cet instinct devient vitale dans le sens premier. D'un point de vue religieux, le créateur les ayant placées en nous, il devient trivial que la recherche de cet équilibre soit reçu comme son dessein. Ainsi nous posons le doigt sur l'origine ultime de ces notions. Les axes dirigeant les codes moraux et éthiques sont ainsi, intimement liées à nos pulsions intérieures.
VII. Biais Culturel et Peur des Différences :
L'impression d'être "plus civilisés" que les autres peuplades, d'avoir une meilleure morale est un biais culturel. Chaque individu porte les valeurs locales de son milieu de vie. Et, cela conduit presque toujours à la peur de la différence chez les autres peuples. Ce sentiment est à la source des hostilités, de la xénophobie et du racisme.
Afin de souligner l'impact du biais culturel dans les jugements moraux, étudions un exemple concret, que nous exposerons d'abord de façon brute, et que nous soumettrons ensuite à une analyse neutre et objective.
Nous avons souligné plus haut l'importance accordée par le Coran aux moeurs, et ne nous attarderons pas à démontrer ici que les châtiments corporels ne sont pas des règles absolues selon une lecture systématique et rhétorique du Coran, car nous avons montré cela dans d'autres articles. Mais, afin de traiter de notre sujet actuel, qui est le biais culturel, nous allons partir de l'état de fait, qui est que certains pays musulmans appliquent des châtiments corporels : talion, lapidation des adultérins, amputation de la main des voleurs...
Vu depuis l'Occident, ces peines apparaissent barbares, archaïques et extrêmement dérangeants. Parceque nous pronons la liberté sexuelle, l'interdiction de la mutilation, de la torture et de la condamnation à mort.
Or, lorsque nous faisons l'exercice de la démarcation pour regarder certains aspects de notre mode de vie et de pensée, ici en Occident, nous pouvons relever des faits très inconfortables.
Les différents cancers provoqués par l'alcool.
Par exemple, la consommation d'alcool est un fait culturel qui caractérise le mode de vie Occidental. Il nous apparaît outrageux de penser nous interdire cette liberté. Or, lorsque nous faisons une analyse des conséquences de ce mode de pensée, nous constatons que plus de 30.000 personnes meurent chaque année rien qu'en France, bastion de la liberté de pensée et de la laïcité, et atteint 2.800.000 morts annuel à travers le monde[2], des gens mutilés, écrasés, amputés ou torturés par des tumeurs. Sans oublier que ce nombre comptabilise certes les morts suite à un cancer, par suicide, mais également les meurtres, dégâts meurtriers des accidents de la route sur les tiers et sur soi-même.
À titre comparatif, le terrorisme mondial a, selon une étude universitaire américaine causé 45.000 morts dans le monde en 2014, 34.000 en 2016, et 26.445 morts en 2017[3].
Rapport sur le terrorisme dans le monde en 2017/START/Université du Maryland/Août 2018
Si nous comparons les bilans finaux de ce simple fait culturel, force est de constater que le mode de vie Occidental ne ressort pas aussi doré et glorieux. Il est évident que les châtiments corporels des pays musulmans n'atteignent jamais une telle ampleur en terme de pertes humaines, souffrance ou mutilations.
Il est donc important de pouvoir observer les autres en connaissance du biais culturel, afin de faire preuve d'objectivité dans nos jugements portés sur les autres peuples. Et d'apprendre à vivre ensemble dans le respect mutuel et des échanges sains.
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[1] Bernard Saladin d'Anglur, La part du chamane ou le communisme sexuel inuit dans l'Arctique central canadien. Journal de la société des américanistes, 75. 1989 pp. 132-171
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